Les avocats de la défense des prévenus cités dans le dossier appel à incendier le palais du Mogho Naaba ont fait leurs plaidoiries ce 24 juin 2023, après les réquisitions du procureur qui s’est attristé du fait que les peines prévues par la loi pour ce qui est du Procès Marcel Tankoano et autres sont faibles. Le verdict a été mis en délibéré au 7 juillet 2023.
Par Nicolas Bazié
Dans son réquisitoire, le procureur est revenu sur les preuves matérielles qui accablent les prévenus dans l’affaire appel à incendier le palais du Mogho Naaba.
Il a même exprimé son mécontentement pour la simple raison que les peines prévues par la loi dans ce cas d’espèce sont faibles. Il déclare ceci: « Je sais que je vais décevoir beaucoup et moi-même, mais, je suis triste au regard de la gravité des faits par rapport aux peines que je vais requérir. L’article dont il est question prévoit des peines dont la plus élevée est de 5 ans. Le ministère public aurait souhaité que les peines soient plus lourdes que ça, mais hélas ».
Il a confié au tribunal que les faits pour lesquels les 10 personnes comparaissent sont assez graves. « Les faits sont extrêmement graves M. le président. Des gens sont prêts à brûler ce pays juste pour chauffer leur café» a lancé le procureur qui a même comparé ce qui allait arriver au Burkina Faso à ce qui est arrivé au Rwanda en 1994 et qui avait fait plus de 800 000 morts.
Et, selon lui, nul doute, Marcel Tankoano est le cerveau «incontesté» de l’appel à incendier le palais du Mogho Naaba. « Marcel est de mauvaise foi M. le président» insiste le procureur qui invite le juge à ne pas le relâcher.
« M. le président, il faut mettre Marcel Tankoano en lieu sûr. Si vous le laissez sortir, vous le verrez encore sur les plateaux de télé. Il faut être ferme avec lui. Ce n’est pas de la méchanceté M. le président, je vous demande d’être tout simplement juste. C’est un récidiviste » a dit le procureur.
Les réquisitions du procureur …
Pour le parquet, Marcel Tankoano est coupable des faits qui lui sont reprochés. « C’est lui qui a fait faire les audios qui appellent à aller incendier le palais du roi». En répression, le procureur a demandé au tribunal de le condamner à 60 mois (5 ans) de prison et une amende de 10 millions de francs CFA le tout ferme.
Cela, pour les faits « d’incitation à un attroupement, d’incitation à la divulgation de fausses informations, d’incitation involontaire à la dégradation de biens d’autrui, de provocation à l’attroupement armé ou non armé et de mise en danger de la personne d’autrui ».
L’animateur d’émission Alain Alain est poursuivi pour un seul chef d’accusation. Il s’agit de « complicité et non-dénonciation de délit ». Le parquet a trouvé que dans ce cas précis, l’infraction est caractérisée parce que selon lui, Alain Alain a eu à discuter avec Abdoul Karim Baguian dit Lota et ont parlé de lancement d’un assaut.
Une peine d’emprisonnement de 60 mois (5ans) et une amende de 5 millions de francs CFA le tout ferme a été requise contre lui.
Quant à Souleymane Belém, il est celui qui ne sait pas ce qui lui arrive dans ce procès selon les termes du procureur. Ce chef coutumier, après avoir écouté les audios et visionné la vidéo qui appelaient à aller incendier le palais du Mogho Naaba qu’il dit appeler son «grand père», il a produit trois audios dans lesquels il appelle à un attroupement devant le palais royal.
Il s’agit de dire au roi, d’entreprendre des démarches auprès des autorités pour qu’elles mettent en garde tous ceux qui veulent s’en prendre au Mogho. Sauf que son appel coïncidait avec celui de Marcel Tankoano et ses complices.
« Souleymane Bélem n’a rien à avoir avec l’appel à aller incendier le palais du Mogho Naaba» indique le procureur qui demande au tribunal de le relaxer pour infraction non constituée pour ce qui est de la mise en danger de la personne d’autrui. Cependant, le parquet a estimé que l’infraction «appel à un attroupement » est suffisamment constituée. C’est ainsi qu’il a demandé au juge de le condamner à 6 mois de prison ferme.
Concernant les autres prévenus, le procureur les a reconnus coupables des faits de provocation à l’attroupement non suivi d’effets, de complicité pour non-dénonciation de délit et de mise en danger de la personne d’autrui. En répression, il a requis contre eux, une peine de 60 mois (5 ans) de prison et une amende de 5 millions de francs CFA le tout ferme.
À l’exception de Alain Alain, Lookman Sawadogo et Souleymane Belém, le procureur a demandé à ce que les autres prévenus soient déchus de leurs droits civiques d’associations pendant 5 ans.
Les plaidoiries des avocats…
Dans sa plaidoirie, Me Samuel Guitanga, avocat de Alain Alain, de Boukari Conombo, de Désiré Guinko et de Lookman Sawadogo s’est beaucoup attardé sur les conversations qui ont été projetées sur un écran le 23 juin. Pour lui, la confiscation des téléphones dans lesquels ces conversations ont été extraites n’a pas suivi la procédure normale.
«Les téléphones portables de mes clients ont été récupérés sans aucune autorisation». Ce qui est, selon lui, contraire à la loi sur la protection des données à caractère personnel et par rapport à certaines dispositions du code de procédure pénale.
Me Paul Kéré, avocat de Marcel Tankoano et de Abdoul Karim Baguian dit Lota a demandé la relaxe de ses clients au bénéfice du doute. « Si les faits sont constitués, je demande pardon. Si ce n’est pas le cas, je demande la relaxe de mes clients au bénéfice du doute M. le président».
Il dit être convaincu que les faits pour lesquels Marcel Tankoano est devant le tribunal ne sont pas constitués. «Il est poursuivi pour avoir fait faire des audios. Mais, quelle est la preuve matérielle qui atteste que Marcel Tankoano a fait faire ces audios? » a indiqué Me Kéré.
Il ne peut pas être mêlé à l’affaire Mogho Naaba précise l’un de ses avocats. « M. le président, Lookman Sawadogo est un Mossi. Comment peut-il faire un complot contre le palais du Mogho Naaba ? Pour ce qui est de Alain Alain, il n’a fait que lancer des piques aux autorités » a dit l’avocat soutenant que «le procureur n’a fait que du chantage».
Son confère Me Abdoul Latif Dabo d’ajouter que : « Le procureur a essayé de jouer sur vos émotions M. le président». À ses dires, le parquet s’est contenté de parler d’autres choses en lieu et place des faits pour lesquels ses clients sont appelés à la barre. « Rien ne prouve de façon claire, que Lookman et Alain Alain étaient au courant de la production et de la diffusion des audios appelant à incendier le palais du Mogho Naaba » fait-il savoir.
« En quoi dire qu’il faut une troisième Transition dans le pays fait de Lookman Sawadogo un complice de ce qui allait se passer chez le Mogho Naaba? En quoi discuter avec l’activiste Aminata Rachow est une infraction ?» questionne Me Abdoul Latif Dabo.
Le parquet a présenté «un hors- sujet total lors de ses réquisitions», a fait observer un autre avocat de la défense qui soutient que le procureur est «passé à côté de la plaque». L’avocat affirme que le parquet n’a pas produit et présenté un élément juridique, matériel et moral qui caractérise une infraction.
« Si le parquet trouve que le fait d’appeler à un attroupement est une infraction, qu’il dise aussi à ceux qui sont chaque matin à la place de la Nation qu’ils sont en infraction» a lancé pour sa part, Me Christophe Birba.
Les derniers mots des prévenus avant le verdict
Dans leurs derniers mots, avant la prononciation du verdict, les prévenus ont continué à rejeter les charges retenues contre eux. À commencer par Marcel Tankoano qui a déclare n’être mêlé ni de près ni de loin à cette affaire d’audios tout en souhaitant «que la paix revienne au Burkina ».
Le journaliste Lookman Sawadogo a demandé au tribunal, à être «totalement» blanchi dans ce dossier.
Abdoul Karim Baguian dit Lota, lui, trouve que ce sont des gens qui ont comploté contre lui : «M. le président, ma personne dérange des gens. Je sais que vous allez me relaxer. Et lorsque vous le ferez, des gens ne vont pas dormir parce qu’ils ne seront pas contents» s’est-il adressé au tribunal.
Pour ce qui est de l’animateur Alain Alain, il indique que c’est sa première fois de se présenter devant un tribunal. À l’écouter, il a toujours prôné la paix dans ce qu’il fait et fait confiance à la justice. Le verdict a été mis en délibéré au 7 juillet 2023.