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[Entretien]«Plus de personnes décèdent de la résistance aux antimicrobiens que le VIH ou le paludisme», Pr Abdoul-Salam Ouedraogo

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Abdoul-Salam Ouedraogo est Professeur Titulaire de microbiologie à l’Université Nazi Boni et chef du service de bactériologie médicale et de virologie au CHU Souro Sanou de Bobo Dioulasso.

Depuis 2017, il dirige le Laboratoire National de Référence pour la Résistance aux Antimicrobiens du Burkina Faso. Son objectif de recherche à long terme est de développer de nouvelles stratégies pour prévenir, identifier et éradiquer la résistance bactérienne aux antibiotiques dans les pays à faible revenu.

Ces efforts ont été récompensés par plusieurs prix, notamment le prix Mérieux de la Fondation pour les jeunes chercheurs en Afrique et la bourse de recherche Fulbright.

Il est actuellement expert FAO/OMS sur la résistance aux antimicrobiens d’origine alimentaire (AMR) et chef du groupe de travail technique de l’Organisation Ouest Africaine de la santé sur l’AMR.

Depuis 2017, le Pr Ouedraogo a mis en place avec l’Université de Montpellier, le cours interuniversitaire sur la résistance aux antimicrobiens (www.diu-antibio.org) qui forme chaque année 50 candidats professionnels de santé de 15 pays francophones d’Afrique.

Il est actuellement Directeur Technique du Centre Muraz, l’un des centres de recherche les plus réputés de la région africaine.

Interview réalisée en ligne

Libreinfo.net: On parle d’antimicrobiens, d’antibiotique, d’usage rationnel, Qu’est-ce que c’est vraiment ?

Les antimicrobiens sont des médicaments utilisés dans le cadre du traitement des infections causées par les microbes chez les hommes ou les animaux, et parfois les végétaux au niveau de l’agriculture. Et parmi ces microbes, nous avons par exemple les bactéries, virus, parasites et champignons.

Lorsqu’il s’agit de ces médicaments contre spécifiquement les bactéries, on parle d’antibiotiques. Quant aux virus (antiviraux), parasites (antiparasitaires) et champignons (antifongiques). Les antibiotiques sont donc des antimicrobiens utilisés pour traiter les infections dues aux bactéries.

L’usage rationnel des antibiotiques correspond au fait que les patients reçoivent les antibiotiques adaptés à leur maladie et les utilisent dans le respect des doses prescrites et de la durée de traitement, et au coût le plus bas adapté à eux.

Ce qui est recommandé, c’est de faire un examen bactériologique lorsqu’on suspecte une infection pour identifier la bactérie responsable de l’infection. L’examen sera complété par un antibiogramme, qui permet de déterminer quels sont les antibiotiques qui seront le plus efficaces contre la bactérie identifiée.

Mais en pratique pour plusieurs raisons parmi lesquelles la modestie des ressources des patients, la disponibilité des analyses ou la durée longue des analyses, lorsqu’elles sont disponibles, font que les médecins sont souvent obligés de faire des traitements probabilistes. Ce qui peut, dans certains cas, être irrationnel et à l’origine de résistances.

Libreinfo.net: Quand parle-t-on de résistance aux antimicrobiens (RAM)?

La résistance aux antimicrobiens est la capacité qu’a un microbe de continuer à proliférer même en présence de médicament antimicrobien qui avait la capacité de le tuer ou de freiner sa croissance. Parmi les antimicrobiens, les antibiotiques sont ceux qui sont le plus couramment utilisés par les populations. C’est un véritable problème de santé publique.

Les bactéries comme les autres êtres vivants sont des organismes vivants capables de s’adapter à des situations très défavorables. Elles peuvent subir des modifications génétiques par mutation ou acquisition de matériels exogènes, qui vont leur permettre de survivre sous l’effet des médicaments.

En pratique, ces résistances sont très souvent la conséquence de l’usage irrationnelle c’est-à-dire inapproprié, excessif ou inadéquat des antibiotiques, qui favorise la sélection de bactéries résistantes aux antibiotiques. Cela est matérialisé par la diminution ou annulation de l’action des antibiotiques utilisés contre elles.

Libreinfo.net: Quelle est l’ampleur actuelle de la résistance aux antimicrobiens au niveau international et national ?

La RAM est l’une des principales causes de décès dans le monde. Chaque année des millions de personnes meurent dans le monde car elles souffriraient d’infections bactériennes résistantes aux antibiotiques.

De nos jours, beaucoup plus de personnes décèdent de raisons liées à la RAM que le VIH ou le paludisme.

Dans les années à venir, ces résistances vont tuer bien plus que le cancer.

Les conséquences les plus lourdes sont enregistrées en Afrique Subsaharienne. A titre d’exemple une étude récente à montrer qu’environ 5 millions de décès dans le monde serait associés à la RAM.

Donc si rien n’est fait d’ici quelques années, les gens pourront mourir d’une infection bactérienne simple, parce qu’il n’y a aucun médicament efficace pour les soigner.

Libreinfo.net: Comment mesurez-vous l’ampleur de la RAM dans votre quotidien ? Avez-vous vécu des cas ou situations alarmantes chez des patients ?

Au quotidien, nous assistons surtout au laboratoire (où nous travaillons), à des bactéries isolées de prélèvements de patients qui sont souvent résistantes à plusieurs antibiotiques. Pour d’autres parfois à tous les antibiotiques. A tel point qu’on se trouve souvent dans une impasse thérapeutique, donc aucune possibilité de traiter l’infection malgré la disponibilité des antibiotiques.

Ces situations aboutissent souvent au décès des patients malheureusement. Puisqu’il n’y a aucune possibilité de pouvoir les soigner. Et cela est de plus en plus fréquent surtout dans les hôpitaux.

Libreinfo.net: On parle d’un problème mais quels sont les facteurs favorisants au niveau de la santé humaine ?

Les antibiotiques sont efficaces uniquement contre les bactéries. Ils sont trop souvent considérés comme des médicaments qui soignent tout surtout dans notre contexte où les gens ont tendance à prendre les antibiotiques même pour une toux ou un mal de tête, … mais cela n’est pas adéquat et est donc à l’origine du développement de résistances de ces bactéries.

Certaines maladies courantes font souvent l’objet de consommation d’antibiotiques, alors qu’elles sont d’origine virale dans la majorité des cas (Ex : angine virale, rhinopharyngite communément appelé rhume). Il faut savoir que ces antibiotiques n’ont aucune efficacité sur les maladies virales courantes ou les patients guérissent en général sans besoin de traitement grâce à leur immunité.

Parmi les facteurs favorisant ces résistances, nous avons dans le contexte de pays à ressources limitées comme le nôtre, entre autres :

  • L’usage excessif et inapproprié en santé humaine
  • L’automédication en lien avec l’absence ou la faiblesse des réglementations et des directives en lien avec la dispensation, la distribution et l’utilisation des antimicrobiens
  • Le manque de connaissances sur la problématique du fléau
  • L’utilisation des antibiotiques en santé animale et dans l’agriculture
  • La propagation des bactéries résistantes dans l’environnement
  • Et tout ceci dans un contexte de fréquence des maladies infectieuses liées :
  • A la malnutrition
  • Aux mauvaises conditions d’hygiènes
  • A l’inaccessibilité à l’eau potable
  • Au déficit en ressources humaines qualifiées

Libreinfo.net: Quelles sont les actions entreprises au niveau international et national pour lutter contre le phénomène ?

  • Au niveau international, depuis quelques années, l’OMS a entrepris des mesures dans la lutte contre l’émergence des résistances à travers notamment une approche qu’on appelle « One health » en français, « une seule santé ». Qui est une politique et des programmes qui encouragent et favorisent la collaboration et la coopération de plusieurs secteurs notamment la santé humaine, animale et celle de l’environnement dans le but d’améliorer la santé globale. Ce qu’il faut comprendre en cela est que les microbes résistants aux médicaments peuvent infecter et se transmettre de l’homme à l’animal et inversement, toutes ces deux espèces partageant le même environnement. A ce niveau on parle de sécurité sanitaire des aliments. Lorsque les efforts sont consentis dans un seul secteur, cela ne permettra pas de lutter efficacement contre ce fléau. Il est donc important de relier le tout.

Dans ce sens, en mars 2022, quatre institutions internationales – l’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) – ont signé un accord inédit visant à renforcer la coopération en vue d’équilibrer et d’optimiser durablement la santé des personnes, des animaux, des végétaux et de l’environnement. Il s’agit en effet de promouvoir des réponses multisectorielles face aux risques alimentaires, de zoonoses et autres menaces pour la santé publique à l’interface homme-animal-environnement.

Et des actions de promotion et de recherche opérationnelles pour regrouper les données épidémiologiques et les données de laboratoire de ces 3 secteurs permettront de mieux appréhender le problème et donner des orientations sur la façon de le réduire.

  • Dans la région OMS Afrique, il y a une stratégie régionale de lutte contre la résistance (2023-2030) pour guider les Etats membres. Parmi les actions de lutte, nous avons :
  • Le renforcement des capacités de laboratoire et de diagnostic, y compris l’assurance qualité et la fourniture de consommables, ce qui est essentiel pour la collecte de données de surveillance de la résistance aux antimicrobiens.
  • Des formations sur la RAM pour accroître la sensibilisation à la RAM et la gestion des antimicrobiens.
  • La surveillance de la consommation des antimicrobiens.
  • En matière de communication, chaque année il y a des campagnes de sensibilisation au bon usage des antibiotiques et à la lutte contre la résistance aux antibiotiques. Ces campagnes se déroulent du 18 au 24 Novembre,
  • Au niveau national, nous entreprenons également des actions dans le cadre du concept « One health », à travers la collecte des données de laboratoire de biologie médicale mais aussi de la consommation des antibiotiques surtout que nous centralisons pour évaluer l’ampleur du phénomène dans notre pays et par voie de conséquence guider les traitements à travers des protocoles. Ces résultats sont aussi partagés à la communauté internationale à travers le système de l’OMS appelé GLASS (Global Antimicrobial Resistance and use Surveillance System), pour la surveillance de la résistance et de l’utilisation des antimicrobiens. Ces données sont également issues de travaux de recherches menés au niveau du pays. Le Burkina Faso est engagé depuis 2017 avec l’élaboration du plan d’action multisectoriel de lutte contre la RAM. Ce plan intègre la surveillance au laboratoire notamment avec la création du laboratoire national de référence des résistances aux antimicrobiens (LNR/RAM) que nous avons la chance de coordonner les activités techniques

Au niveau de l’ANRP Agence Nationale de Régulation Pharmaceutique), il s’agit essentiellement de la surveillance  de la consommation des antibiotiques.

Libreinfo.net: Qu’est ce qui est prévu en ce qui concerne le laboratoire national de Référence de lutte contre la RAM ?

Au niveau du LNR/RAM, nous avons pour mission d’apporter une expertise technique dans la détection et la surveillance de la RAM. A ce titre nous coordonnons avec la Direction des laboratoires de biologie médicale (DLBM) un réseau de plus d’une vingtaine de laboratoires la surveillance passive de la résistance d’une liste de bactéries pathogènes.

Un rapport mensuel est transmis par chaque site et une fois par an nous compilons ces données dans un rapport global qui décrit l’ampleur de la RAM dans notre pays.

En plus de cela nous assurons la formation régulière du personnel de laboratoire, le contrôle de qualité des analyses, la réception, la compilation, l’analyse et la validation des données recueillies au niveau des sites sentinelles de surveillance, Ces données sont transmises à la Direction des laboratoires de biologie médicale (DLBM)

Libreinfo.net: Face au problème quelles solutions à envisager pour l’usage rationnel au sein des populations ?

L’utilisation rationnelle des antibiotiques constitue donc un point essentiel de la lutte contre l’émergence des micro-organismes résistants. Pour un usage plus responsable des antibiotiques, certaines mesures doivent être prises, notamment :

  • Promouvoir l’éducation et la sensibilisation du public sur les médicaments antibiotiques, les antimicrobiens de façon générale en vue de réduire l’automédication.
  • Et surtout élaborer et renforcer la réglementation en la matière, y compris celle applicable aux activités de promotion. Donc limiter les délivrances des antimicrobiens dans les officines privées sans ordonnance.
  • Il faudrait également travailler à rendre accessible (financièrement et géographiquement) les analyses de biologie médicale et bactériologie en particulier. Cela permettra de limiter le recours à l’antibiothérapie probabiliste qui peut être inadéquate.

Libreinfo.net: Quelle précautions les populations doivent prendre ?

De façon générale, il y a 2 mesures :

  • Respecter les mesures d’hygiène: qui vont viser surtout à prévenir les infections. Cela constitue la première des choses dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens en général, et aux antibiotiques en particulier.

S’il y a moins d’infections, il y aura moins d’antibiotiques à utiliser et donc moins de résistances des bactéries aux antibiotiques.  La prévention des infections diminue la nécessité de prescrire des antibiotiques. Pour cela, les populations doivent :

  • se laver fréquemment les mains avant et après tout geste à risque d’infection : au sortir des toilettes, après le travail, avant de cuisiner, etc. Et pour ceux qui accompagnent les malades à l’hôpital, de veiller à se laver régulièrement les mains après les soins.
  • Bien laver et conserver les aliments, et veiller à l’hygiène de la préparation
  • Se faire vacciner contre les maladies pour lesquelles il existe des vaccins efficaces.
  • Deuxièmement, bien utiliser les antibiotiques : il ne faut utiliser les antibiotiques que quand c’est nécessaire.
  • D’où la nécessité d’éviter de les prendre ou de les utiliser sans un avis médical, ce qu’on appelle l’automédication. Cette automédication est l’une des causes la plus importante de l’émergence des résistances.
  • Et lorsqu’un médecin vous prescrit un antimicrobien, il faut bien respecter les prises, les doses et la durée des traitements. Il ne faut pas arrêter le traitement lorsque vous sentez de l‘amélioration. Et il ne faut pas utiliser l’antibiotique à nouveau si vous sentez les mêmes symptômes sans avis médical.

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