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Burkina/Enseignement des TICE au primaire : Des obstacles sur la route de l’expérimentation

Enseignement des TICE à l'école primaire

Au Burkina, afin de rechercher les meilleures formules d’enseigner avec et par les Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) au primaire, le ministère de l’Enseignement de base, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales (MEBAPLN) mène des expérimentations. Malgré son impact sur l’amélioration de la qualité des enseignements/apprentissages, la mise en œuvre de cette innovation pédagogique peine pour l’instant. Au-delà de l’insécurité, le manque de matériel, de formation du personnel enseignant, de connexion internet, de salles informatiques et une absence de maintenance, constituent des obstacles qu’il faudra surmonter.

Par Natabzanga Jules Nikièma (correspondant)

Nous sommes dans la cyber classe/salle informatique de l’école Patte d’Oie A de Ouagadougou. Le doigt enfoncé sur le bouton d’allumage, l’élève Assèta Cissé presse et allume rapidement l’ordinateur placé sur une table. Elle applique avec aisance la même technique sur une tablette tenue dans ses mains. Cet exercice, la jeune écolière le maitrise correctement malgré son dernier cours d’informatique qui remonte aux vacances scolaires de 2024. Au-delà de l’apprentissage reçu à l’école, elle continue d’apprendre à utiliser le matériel numérique à la maison lorsque l’occasion se présente. Les lunettes sur le visage, elle ajuste puis nous récite mécaniquement son cours en informatique. « C’est facile à utiliser », dit-elle, souriante.

Abdoulaye Zoungrana est élève au CM2 à l’école Ziniaré A. Son école, tout comme celle de Assèta Cissé, figure sur la liste des six premiers établissements scolaires publics bénéficiaires d’une cyber classe équipée en matériel informatique, financée et dotée par le projet Programme pilote intégré d’éducation (PPIE) pour l’expérimentation de l’enseignement des TIC (technologies de l’information et de la communication) à l’école primaire depuis 2005. Mais, la cyber classe n’est pas fonctionnelle depuis plus d’une dizaine d’années. Abdoulaye Zougnrana n’a donc aucune notion en informatique contrairement à Assèta Cissé.

Devant sa classe, il a le regard fixé vers la cyber classe/salle informatique. « Je ne connais utiliser ni l’ordinateur, ni la tablette. À la maison, mes parents n’ont pas les moyens pour m’en acheter », déplore le jeune écolier.

Comme lui, des milliers d’élèves du public ne bénéficient pas de l’enseignement des TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’éducation), en un mot le numérique éducatif. Pourtant, dans une lettre du 19 novembre 2024, le ministère de l’Enseignement de base, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales (MEBAPLN) relance l’expérimentation de cette innovation pédagogique entrant dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme des curricula.

Impact et nécessité

Nous sommes à quelques jours des évaluations du premier trimestre. En attendant que l’école du secteur 6 de Zorgho n’applique l’enseignement des TICE, Gratien Kaboré, élève en classe de CM1, va devoir maintenant faire face à la dure réalité. Il ne dispose plus de sa tablette depuis la rentrée scolaire alors qu’il s’en servait pour ses apprentissages scolaires pendant les vacances à la maison. Une situation qui inquiète et attriste l’apprenant. « Je ne sais quoi faire », se désole-t-il, le visage triste.

A l’époque, l’informatique n’était pas populaire. Un enseignant désigné responsable de la cyber classe assurait la formation suivant un programme élaboré en fonction de la disponibilité des élèves organisés en groupes et par classe. L’essentiel des apprentissages reposait sur le b.a.-ba de l’utilisation de l’ordinateur : « savoir ouvrir et éteindre, distinguer les différentes composantes, faire des jeux, dessiner et connaitre la saisie ».

« C’est quelque chose de nouveau pour les enfants et c’était intéressant », se souvient Ahmed Derra, un ancien élève bénéficiaire de cet apprentissage aux souvenirs encore vivaces. Pour lui, l’enseignement des TICE reçu au cycle primaire a eu un impact positif sur son devenir. « Je suis allé un peu loin dans les études et je sais vraiment ce que cela m’a donné », raconte-t-il. « Ça m’a été très bénéfique. Cela a cultivé la curiosité en moi. Donc, j’ai renforcé ce que je connaissais. Quand je suis arrivé au lycée, il y avait les exposés à faire et c’était moi qui faisais les recherches et la saisie des travaux en groupe », déclare le jeune ingénieur en Bâtiment et travaux publics (BTP).

Son avis ne semble pas être totalement partagé par Safiatou Ouédraogo, une autre ancienne élève, aujourd’hui mécanicienne, qui a abandonné ses études au collège. « J’ai tout oublié », déplore la jeune dame en haussant les épaules.

Seyni Bitiou, responsable de la cyber classe de l’école de la Patte d’Oie A, apprécie l’initiative. « On est dans un monde où tant qu’on n’a pas touché à l’outil informatique, on est considéré comme un analphabète. Et les élèves sont motivés pour connaître un peu ce que c’est que l’informatique », déclare-t-il. « Il faut prendre l’exemple de l’Inde et des USA », indique Derra qui relève l’importance de l’informatique.

L’enseignement du numérique est une alternative. Il s’opère à travers trois canaux : la radio, la télé et le digital. Au Burkina, depuis la survenue de la crise sécuritaire, pour pouvoir permettre la continuité éducative dans le cadre d’un plan de riposte, des initiatives sont prises pour l’enseignement des TICE. Plusieurs ONG comme l’UNICEF, le Projet d’amélioration de l’accès et de la qualité de l’éducation (PAAQE), le Projet d’urgence de développement territorial et de résilience (PUDTR), la Fondation Éducation et Coopération (EDUCO), Catholic Relief Service (CRS), accompagnent l’Etat dans cette innovation pédagogique. Kadidjatou Soré, directrice de la Technologie de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) est sereine. Elle suspend la manipulation de son ordinateur et donne un exemple. « 50 écoles de cinq régions ont reçu 2 500 tablettes pour des classes de CM2 avec neuf applications mobiles développées et implémentées. Les élèves ont composé au CEP avec de bons résultats », fait-elle savoir.

Attention aux ralentisseurs !

Retour à Ziniaré. Les écoles disposent de peu de ressources financières collectées sur la base des cotisations des parents d’élèves. La salle informatique de l’école Ziniaré A est transformée en bureau administratif pour la directrice, Bertille Yaméogo. Après un long temps de fouilles, elle retrouve une vieille liste de matériel doté comme unique archive qu’elle nous présente. Les cinq machines sont grippées et soigneusement rangées sauf une. Devant un ordinateur en panne, elle explique la situation : « Toutes les machines sont grippées. On n’a pas assez de moyens pour les réparer. Il y a donc un problème de maintenance ».

Enseignement des TICE à l'école primaire
Bertille Yaméogo, directrice de l’école Ziniaré A, découvrant un ordinateur en panne

A cette difficulté, la directrice Bertille Yaméogo ajoute celle des effectifs pléthoriques dans les classes. « Les effectifs sont élevés dans les classes. Nous sommes à plus de 100 élèves par classe. 100 élèves pour une seule séance, c’est compliqué puisque c’est un seul enseignant responsable de la salle qui est chargé de former tous ces élèves », déplore Mme Yaméogo.

Derrière elle, il y a Madina Tondé, la responsable de la cyber classe. Assise devant l’unique ordinateur fonctionnel, très concentrée, elle manipule calmement. Elle tente vainement de retrouver la liste des anciens élèves bénéficiaires de l’apprentissage des TIC à l’époque. Elle s’est formée à titre privé avant d’être retenue comme formatrice des élèves. Elle a suivi un atelier de formation sur l’élaboration des curricula en matière de TICE mais qui est restée sans suite. « On n’a pas eu de formation pratique », déclare l’enseignante, la main maintenue sur la souris. Elle évoque l’insuffisance du matériel numérique. « On n’avait pas assez d’ordinateurs », indique-t-elle. « Il n’y a pas un emploi du temps spécifique réservé à cet apprentissage du numérique. Donc, c’étaient les heures de travaux pratiques que nous utilisions pour encadrer les enfants », déplore Mme Tondé.

La cyber classe de l’école de la Patte d’Oie A est bien équipée d’une dizaine d’ordinateurs, d’une cinquantaine de tablettes, d’un vidéoprojecteur, de tables, d’une imprimante et des chaises. Sény Bitiou en est le responsable depuis 2019. Il s’est auto-formé en informatique sur le terrain alors qu’il était agent dans un service déconcentré à Kaya.

Enseignement des TICE à l'école primaire
Madina Tondé, responsable de la cyber classe de l’école de Ziniaré A, devant son ordinateur

A notre passage, il jouait le rôle de secrétaire. Sa dernière séance de formation des élèves remonte à la période des vacances. Il époussette les ordinateurs installés sur les tables puis fait sortir une tablette qu’il tente d’allumer en vain. « La salle est exiguë. On ne peut pas faire rentrer tous les élèves d’une même classe à la fois », déplore-t-il. « Nous n’avons pas de wifi. Et cela réduit notre possibilité d’apprendre aux enfants comment entrer sur un site internet et comment faire des recherches », fait-il savoir.

En 2024, « l’école numérique » du secteur 6 de Zorgho a bénéficié d’un don de matériel informatique de la société de téléphonie mobile Orange Burkina. Il est composé de deux ordinateurs, de deux projecteurs et de trente tablettes pour l’enseignement des TICE. Casimir Kaboré est le directeur de cette école. Au moment de notre passage, le matériel était stocké au domicile du chef coutumier de Baando. Un membre du bureau APE (Association des parents d’élèves) évoque le problème d’insécurité. « Le bureau du directeur a été cambriolé la semaine dernière. L’école n’est pas clôturée. C’est l’insécurité », nous confie-t-il.  Son souci est aussi partagé par M. Bitiou de la Patte d’Oie : « la salle informatique a été cambriolée par le passé », nous apprend-t-il.

Le doigt pointé vers le toit, Casimir Kaboré nous montre le trou opéré par le cambrioleur pour commettre son forfait. Il nous amène ensuite au milieu de la cour de récréation. « Nous n’avons pas de salle informatique ni de sources d’énergie (solaire et électricité) pour l’exploitation du matériel informatique au bénéfice des apprenants », déplore-t-il. « Un exemple d’école numérique et qui n’arrive même pas à le concrétiser. Nous sommes fortement désolés », ajoute-t-il.

Nongdo Kaboré est un enseignant bénéficiaire d’une formation en enseignement numérique. Il a appris comment ouvrir l’ordinateur, installer le projecteur, le wifi et comment administrer les questionnaires aux élèves ou leur donner quelques cours. Aujourd’hui, il continue son travail fastidieux en classe : « écrire au tableau et effacer avec la main ». Les doigts couverts de craie et visiblement mécontent, il lâche ceci : « ! Vraiment, on ne sait pas comment faire. ».

Avant 2013, l’utilisation des TIC dans l’éducation se faisait à travers des interventions d’associations, d’ONG sans une réelle coordination de l’Etat.  C’est le Cadre d’orientation du curriculum (COC) qui consacre désormais les TIC comme une matière à part entière suite à l’enclenchement de la réforme curriculaire où des curricula TIC ont été construits au profit de tous les ordres d’enseignement. Germain Païdwendé Nikièma est le chef du Service du numérique éducatif à la Direction des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (DTICE).

Enseignement des TICE à l'école primaire
Germain P. Nikièma, chef de service de l’enseignement numérique

Il revient sur l’état des lieux qu’il dresse, tout en relevant les défis et les perspectives. « Une plateforme éducative, dénommée Faso e-éducation, contenant environ 4 000 ressources pédagogiques numériques de différentes natures (web, radio, télé, fiches et guides pédagogiques, les nouveaux curricula, des annales) destinées aux apprenants et aux enseignants, a été développée et mise en exploitation », dit-il.

« Le processus de digitalisation des enseignements/apprentissages à travers celle des curricula, des manuels scolaires et des guides pédagogiques connait un début effectif avec la formation des concepteurs et la numérisation des outils de la classe de CE1 », précise M. Nikièma.

Face à cette situation, Sény Bitiou et ses collègues font des propositions. « Il nous faut un équipement supplémentaire afin de permettre aux enfants d’être en grand nombre et de pouvoir travailler ainsi qu’une connexion wifi », indique M. Bitiou. Pour Madina Tondé, « l’important est de former davantage les enseignants, d’assurer la maintenance et de doter suffisamment les écoles de matériel ». Quant à Casimir Kaboré, « la solution réelle, c’est approvisionner l’école en énergie et la doter d’une salle informatique ».

En attendant, Abdoulaye Zoungrana, Gratien Kaboré et des milliers de camarades ont le regard tourné vers les autorités en charge de l’éducation pour mieux leur faire bénéficier de cette innovation pédagogique.

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