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Burkina Faso : Trois jours de tension qui ont marqué le coup d’Etat du capitaine Ibrahim Traoré

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Le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba a pris le pouvoir le 24 janvier 2022 au Burkina, suite à un coup d’Etat. Le 30 septembre 2022, soit huit mois plus tard, il est renversé, à son tour, par un coup d’Etat dirigé par un autre militaire, le capitaine Ibrahim Traoré. Pendant trois jours, alors que des Burkinabè sont dans les rues, d’intenses négociations ont été engagées à Ouagadougou, la capitale du pays, pour éviter « le bain de sang » entre frères d’armes.

Par Nicolas Bazié

« Si vous êtes réellement forts, faites votre coup d’État et gérez le pays comme vous le voulez ! ». Peut-être, depuis le Togo où il est réfugié, Paul Henri Damiba doit se dire qu’il n’aurait jamais dû prononcer cette phrase qui l’a rattrapé quatre mois après.

Vendredi 30 septembre 2022 ! 4h30 du matin environ, il fait encore nuit sur Ouagadougou. Sans doute, les habitants s’étaient-ils laissés aller dans un sommeil profond. Sauf qu’un groupe d’officiers de l’armée, mécontents de la gouvernance du lieutenant-colonel Damiba,  étaient déjà en manœuvre et allaient se faire bruyamment entendre. 

Grande a été la surprise de nombreuses personnes à Ouagadougou, quand des tirs d’armes ont éclaté vers le camp militaire Général Baba Sy, situé à Karpala dans l’arrondissement n°11 de la ville. 

À 7h, c’est la confusion totale. Personne ne comprend ce qui se passe. Des points stratégiques du quartier huppé de Ouaga 2000 sont quadrillés : impossible de se rendre à la Place des Martyrs voire même vers la présidence du Faso. A bord de véhicules type Pick-up, de blindés ou à motos, des militaires, armés, ont investi divers endroits de la ville.

Les premières informations font croire que ce sont des militaires qui sont contre les privilèges dont  jouissent certains d’entre eux. En effet, selon toujours les mêmes informations, le président Damiba aurait versé une prime exceptionnelle à des éléments des forces spéciales qui sont à Ouagadougou, au détriment des autres qui sont pourtant sur le terrain en train de combattre les groupes armés terroristes. 

Dans le centre-ville de la capitale, la circulation est moins dense que d’habitude. La Radio télévision nationale est sous le contrôle de militaires cagoulés et bien armés. Le grand marché, le Commissariat central et le Tribunal de grande instance de Ouaga I sont fermés. 

La police refoule toute personne qui s’avance vers les barrières de sécurité mise en place , ici et là. Jusqu’au soir de ce jour 30 septembre 2022, personne n’avait la certitude de ce qui se passait réellement. 

Or, dès les premiers tirs d’armes, il y a eu deux morts. On saura plus tard qu’il y a eu également 9 blessés et des dégâts matériels. C’était donc le dénouement d’une crise entre les éléments du lieutenant-colonel Damiba et ceux du capitaine Ibrahim Traoré. Ces derniers accusent le lieutenant-colonel Damiba, Président du MPSR et chef de l’Etat, de dévier de la trajectoire des objectifs fixés lors du coup d’Etat du 24 janvier 2022 contre M. Roch Marc Christian Kaboré, président élu en 2020. 

La hiérarchie militaire a tenté une médiation, mais c’était peine perdue, parce que les éléments de l’unité «Cobra», dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré, veulent désormais la démission du président Damiba. Ce que ce dernier refuse.

Lors de toutes les séances de négociations qui ont suivi, le lieutenant-colonel Damiba brillera par son absence, préférant envoyer des émissaires. 

Dorénavant, chaque minute compte et l’unité «Cobra»  fait irruption à la télévision nationale, à 20h, pour annoncer la destitution du lieutenant-colonel Damiba, la suspension de la constitution, la dissolution du gouvernement,  de l’Assemblée législative de Transition, la suspension des activités des partis politiques et celles de la société civile. 

Dans le même temps, ils annoncent la fermeture des frontières terrestres et aériennes et l’instauration d’un couvre feu de 21h à 5h. La population venait ainsi d’être informée sur ce qui se tramait depuis la nuit du 30 septembre

Condamnation «ferme» de la CEDEAO

La CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) a tout de suite réagi par un communiqué : «C’est avec la plus grande fermeté que la CEDEAO a condamné le coup de force» contre le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba.

Image illustrative des membres de la CEDEAO

Un coup d’État que l’institution sous régionale trouve inopportun et « réaffirme son opposition sans réserve à toute prise ou maintien du pouvoir par des moyens non constitutionnels». 

Elle a exigé également le respect «scrupuleux du chronogramme déjà retenu avec les autorités de la transition pour un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024», tout en mettant en garde toute institution, force ou groupe de personnes qui, par des actes, empêcherait ce retour à l’ordre constitutionnel.

Pour le capitaine Ibrahim Traoré, le nouvel homme fort du Burkina, la CEDEAO peut être tranquille parce que 2024 est trop loin pour lui et ses hommes. Selon ses dires, le pouvoir empêche de réfléchir, et cela ne l’intéresse guère. C’est pourquoi il soutient qu’il y aura des assises nationales au plus vite, pour désigner un président civil ou militaire qui va gérer la Transition. 

Des manifestants dans les rues des principales villes du Burkina

Le samedi 1er octobre 2022, le couvre feu est levé, les populations sont appelées à une mobilisation pour l’intérêt supérieur de la nation. C’est une chaude et longue journée qui commence à Ouagadougou, Kaya, Ouahigouya, Banfora, Bobo Dioulasso. Des manifestants ont arpenté les rues de ces villes.

A Ouagadougou, ils demandent à la fois la libération du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana et la démission «pure et simple» du lieutenant-colonel Paul Henri Damiba. Le capitaine Ibrahim Traoré et ses hommes vont passer à la vitesse supérieure, en repartant à la RTB pour lire une autre déclaration. 

Dans cette deuxième adresse publique, ils affirment que le président Damiba « se serait réfugié au sein de la base française de Kamboinsin». Ils ajoutent : « Il (Damiba) est en mesure de planifier une contre-offensive afin de semer le trouble au sein de nos forces de défense et de sécurité. Cela fait suite à notre ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires prêts à nous aider dans notre lutte contre le terrorisme. »

Coup d'Etat
Des manifestants dans les rues de Ouagadougou

Il n’en fallait pas plus que cette déclaration pour chauffer les nerfs des manifestants. Cependant, le ministère des affaires étrangères francais, dans un communiqué, avait démenti « formellement toute implication dans les affaires en cours au Burkina Faso. Le camp où se trouvent les forces françaises n’a jamais accueilli Paul-Henri Damiba, pas davantage que notre ambassade.»

Mais, c’était déjà trop tard. Si certains manifestants se sont dirigés vers Kamboinsin où se trouve la base de forces spéciales françaises, d’autres s’en sont pris aux locaux de l’ambassade de France, située à quelques jets de pierres du siège de la télévision nationale. Les caméras de surveillance ont été cassées, des objets brûlés devant les locaux, bref, la tension vive. De plus, à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, des manifestants ont saccagé l’Institut français.

Le président Damiba sort enfin de son silence dans un message diffusé par vidéo : « Peuple du Burkina Faso, les évènements tragiques que traverse notre pays en ce moment, sont à l’origine de diffusion d’informations mensongères, savamment orchestrées et distillées dans le but de manipuler les populations en les instrumentalisant pour des causes étrangères et au détriment de l’intérêt supérieur de la Nation. Je déments formellement m’être réfugié dans la base française de Kamboinsin. Ce n’est qu’une intoxication pour manipuler l’opinion ! ».

Il tente même de calmer les choses en interpellant le capitaine Ibrahim Traoré : « J’appelle le capitaine Traoré et compagnie à revenir à la raison pour éviter une guerre fratricide dont le Burkina Faso n’a pas besoin dans ce contexte. J’invite, enfin, les populations civiles à rester calmes chez elles ». Le président semble avoir prêché dans le désert, puisque les manifestations se sont intensifiées après son message. 

En coulisses, le rôle des chefs religieux et coutumiers 

Dans les coulisses, des représentants de chefs religieux et coutumiers, menés par le cardinal Philippe Ouédraogo et un représentant du Mogho Naaba Baongo, ont joué un rôle déterminant dans le dénouement de la crise. En fait, ils ont engagé les négociations pour une sortie pacifique de crise. Des leaders politiques ont aussi appelé à éviter un affrontement.

Démission du président Damiba, une victoire pour les manifestants

Le dimanche 2 octobre 2022, la tension est encore palpable à Ouagadougou. Le président Damiba rend enfin sa démission. La nouvelle a été accueillie avec satisfaction au sein des manifestants civils qui avaient envahi les rues de la capitale.

C’est à coups de sifflets et de klaxons de voitures et de motos que des milliers de Ouagalais ont exprimé leur joie ce 2 octobre 2022. Aux alentours de la télévision nationale, que de monde et que de bruit… que d’acrobaties sur l’avenue de l’Indépendance….

Les manifestants attendaient la déclaration radiotélévisée du capitaine Ibrahim Traoré annonçant sa prise de pouvoir. Ils n’hésitaient pas à prendre des photos avec les militaires lourdement armés postés par endroits. Les soldats sont même «bombardés» de bénédictions et de remerciements. 

Burkina Ibrahim Traoré
Des manifestants dans les rues de Ouagadougou ont apporté leur soutien au capitaine Ibrahim Traoré

Visiblement, le départ de Paul-Henri Damiba, lui-même tombeur en janvier de cette même année de l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré, est «une très bonne nouvelle», ou du moins «un ouf de soulagement».

Lorsque le capitaine Ibrahim Traoré est ressorti de la télévision nationale, après sa déclaration, il a été acclamé et escorté par une foule folle de joie. Certains se sont retrouvés sur des blindés et des véhicules pick-up armés. 

Lire aussi: Burkina Faso: Coup d’Etat, des manifestants se prononcent

Dans le même temps, de l’autre côté de l‘avenue, des manifestants ont tenté d’entrer dans l’enceinte de l’ambassade de France, située non loin de la télévision nationale. Ils ont brûlé des objets et ont même tenté d’arracher les barbelés fixés sur les murs. C’était sans compter avec les militaires français qui avaient pris position sur le toit de leur ambassade. Il a fallu une forte détonation pour éloigner les manifestants qui ont pris leurs jambes à leurs cous..

Échanges avec les secrétaires généraux des ministères 

Après cet épisode très mouvementé, dans l’après-midi, le capitaine Ibrahim Traoré, désormais investi président par intérim de la Transition, chargé d’expédier les affaires courantes a convoqué les secrétaires généraux (SG) des ministères. 

Au menu des échanges, travailler de façon rapide pour répondre à toutes les urgences. 

Selon le nouveau président de la Transition, le Burkina est arrivé à un niveau où tout est urgent. A l’endroit des secrétaires généraux en question, le capitaine Traoré s’est voulu on ne plus clair : «les lourdeurs administratives» sont à éviter, les dossiers qui traînent dans les tiroirs doivent être traités au plus vite. Les SG sont invités à détecter tous ceux qui,  dans les administrations, s’adonnent à des deals dans le traitement des dossiers.

Coup d'Etat
Le capitaine Ibrahim Traoré (assis) face aux secrétaires généraux des ministères

Le président du MPSR a également demandé que le point des véhicules pick-up qui sont garés dans les ministères suite à des pannes, lui soit fait pour leur remise en état afin d’être utilisés sur le terrain des combats contre les terroristes.. 

Une fois sa déclaration finie, Paul Henri Damiba a décollé pour le Togo, son pays d’exil. Le 3 septembre 2022, le gouvernement togolais a confirmé l’arrivée à Lomé, de l’ex-chef d’Etat, dans l’esprit de l’engagement du pays «à la paix dans la sous-région».

Les nouveaux maîtres du pays ont appelé les populations à vaquer librement à leurs occupations et à éviter tout acte de vandalisme. 

Le bras de fer entre forces spéciales du lieutenant-colonel Damiba et l’unité «Cobra» du Capitaine Traoré aura duré trois jours. 

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